dimanche 5 février 2017

Quelle poisse !

Ce gamin se montre récalcitrant. Cette conversation va tourner au vinaigre et d'ailleurs peut-on appeler cet échange une conversation ?
  • Salut petit, j'adore tes chaussures.
  • Et alors ?
  • On échange ?
Le regard du gamin passe de l'amusement à la colère en un quart de seconde, devant je suppose, le sérieux de ma requête.
Il reprend sa route, et je le poursuis, bien entendu. Des Nike Air jaune fluo sur le dessus et rose sur les flancs et le talon. La classe pour courir ! Impossible de ne pas attirer les regards. Il me faut ces shoes !
Moi avec mes Asics blanches, j'ai l'air d'un plouc. Sérieux, si je croise une pépé, affublé de telles godasses, je peux me rhabiller pour tenter une approche. L'habit fait le moine, et basket minable suppose joggeur minable. Ça fait un moment que je me fais cette réflexion, je me suis trop fié au prix lors des soldes, et là, devant les merveilles de ce gamin - de quoi ? Dix-sept, dix-huit ans ? - je réalise que j'aurais dû choisir ce modèle. Ok, les magasins de sport en proposent toute l'année, j'ai les moyens, pas la peine d'attendre une promo mais en ce moment, je cours en forêt, pas dans un magasin de sport ! C'est maintenant que l'occasion se présente, c'est maintenant que je dois agir. Pas la peine de tergiverser. Je proposerai bien de l'argent, seulement je cours léger. Je n'ai même pas de téléphone sur moi. Lui non plus, apparemment. À moins que...
Je le saisis par l'épaule, il se dégage avec agressivité :
  • Hey, ça va pas ! Faut vous soigner !
  • Attends ! Tes chaussures me plaisent vraiment !
  • Z'avez qu'à vous acheter les mêmes !
  • Réfléchis, tu vas y trouver ton compte.
Intrigué, il se calme un peu. Regarde à gauche à droite, derrière... J'en profite :
  • Ok, mes pompes ne sont pas terribles. Mais je peux te donner du fric. Tu as raison sur un point, je pourrais en trouver dans un magasin, mais je suis un sanguin, une envie est une envie. Je veux bien les payer deux fois le prix si tu me les file maintenant.
  • Du fric ? Ici ? Vous êtes en legging, vos poches sont vides !
  • Pas faux ! Je te passe mon numéro de mobile. À ton retour, tu me recontactes et nous convenons d'un rendez-vous. Ne crains rien. Je suis sincère, je ne vais pas t'arnaquer.
Il secoue la tête négativement, c'est pas bon du tout !
  • Allez consulter, vous êtes malade !
Et il reprend sa course.
Quelle poisse !
Je me rue sur lui, le plaque au sol. Il se met à hurler, j'appuie son visage contre la terre du chemin. Je frappe sur sa nuque. Lui fait une clé de bras, pour étouffer ses cris. Nous roulons jusque dans le sous-bois. Il est coriace, mais je le tiens bien. Je le relâche. Il ne bouge plus. Son regard reste figé dans le néant. J'ai serré trop fort, trop longtemps. Voilà ce qui arrive quand on refuse une proposition honnête !
Cela me contrarie. Je ne lui voulais aucun mal, vraiment. Si quelqu'un passe à ce moment, je vais être désigné coupable, sans élément probant prouvant la nature accidentelle du décès. Je me dépêche. La droite en premier.
Bordel ! Je n'avais pas remarqué ce détail. Ce gosse possède des pieds de géant ! Il fait quatre tailles au-dessus de la mienne ! Le sort s'acharne. Je remets tout en place. De cette façon, les flics ne comprendront pas le motif.
Allez, je file.
Heureusement, je suis loin de chez moi.
Parti au cœur du Morvan pour me ressourcer, sur les conseils de mon psy, je n'ai prévenu personne et ai payé mon hôtel en liquide dans le plus parfait anonymat. Ok, de nos jours, nul ne passe totalement inaperçu, les caméras de vidéosurveillance sont légions, mais c'est tout de même plus sécurisant. Je suis très prévoyant. De surcroît, je n'ai de compte à rendre à personne, vivant seul sans enfants.

D'ailleurs, je me demande bien pourquoi un mec sérieux comme moi, qui entretient son corps trois fois par semaine, ne trouve pas chaussure à son pied !