vendredi 13 mai 2016

Triste retour...

Les bottes de métal claquaient sur les pavés comme une fanfare sinistre. Les armures déformées scintillaient sous les rayons du soleil levant. Les hommes éprouvés marchaient d'un pas lourd. Les visages tirés exprimaient tristesse, honte, et humiliation. Dans la défaite, ils avaient abandonné tant de frères.
Les trente-trois survivants pénétrèrent dans la cour sous les acclamations des femmes, heureuses de voir leur homme rentrer de la guerre, et sous les pleurs de celles qui apprenaient leur veuvage. Les enfants se joignaient à elles. Douleur et joie se mêlaient en des voix discordantes, formant un brouhaha qui s'éleva jusqu'aux hauteurs du donjon.
Le seigneur entendit ces clameurs et descendit à la rencontre des survivants.
Ainsi, son chef de guerre avait échoué. Attaquer une forteresse avec quelques centaines de soldats relevait du suicide, mais ce jeune capitaine avait su le convaincre. Les considérations politiques et économiques minaient son esprit. Qu'adviendrait-il de son honneur et de son siège à la suite de cette tentative manquée ? Sa réputation allait en souffrir, son misérable ennemi et ses alliés sauraient lui faire payer l'affront. Mais pour le moment la plèbe attendait de lui qu'il se montre digne de son rang. Accueillir ces valeureux combattants ayant risqué leur vie pour les intérêts de leur seigneur. Leur assurer de son profond soutien. Leur offrir en récompense une triple solde – étant donné les pertes, il y gagnerait en consolidant la fidélité de ces soldats... Les glorifier et les valoriser par un preux discours.
Tandis qu'il s'avançait pour déclamer ces louanges, ses promesses et ses offrandes, les regards fatigués des militaires étouffèrent toute portée épique en son cœur. La ferveur qu'il souhaitait insuffler à ses paroles s'évapora, pareille aux volutes d'une haleine par grand froid. Pas un salut, pas une parole. Une sourde colère habitait ces yeux ravagés de souffrance. Qu'avaient-ils donc pu vivre pour se retrouver dans un tel état de choc ? Reprenant contenance, il inspira profondément et commença à les saluer.
Le premier fer de lance lui coupa la parole, en passant à travers sa poitrine. Le second l'embrocha par l'abdomen et un dernier se planta sous son menton. Porté par trois hommes de haute stature, le souverain fut cloué sur la porte de son donjon, sous l’œil stupéfait des gardes...