mardi 24 février 2015

Je te défèque, maman...

Qu'espérais-tu en procréant, charogne ?
Donner un sens à ta vie, gagner une reconnaissance sociale, bénéficier d'une allocation ?
Quelle belle réussite ! Je suis venu au monde dans la douleur et j'y suis resté. Ne compte pas sur moi pour te remercier. Tu me trouves ingrat ? M'offrir une existence aurait dû me combler ? Pauvre dégénérée ! Etre sur terre ne suffit pas.
Tu aurais dû être ma mère.
Enfermé dans cette cave humide, j'ai chassé rats et souris pour satisfaire ma faim et ma soif. Oh ! Tu ne m'avais pas abandonné. Parfois, je trouvais des restes sur le seuil de ma cellule. Je mâchais le gras, rongeais les os, aspirais le jus. La vermine avait meilleur goût...
J'ai rampé de longues années avant de pouvoir me dresser sur mes deux pieds. Etre humain n'était pas naturel pour moi. Je ne parlais aucune langue. Communiquer ne m'aurait servi à rien, car j'étais seul, complètement seul, perdu dans l'ombre. Je craignais ta présence. Tes visites annonçaient douleurs et privations. Tu me battais, tu me punissais, pour des crimes dont je n'avais pas idée. Des crimes nés de ton esprit...
Sans un coup du sort, je serais resté enfermé toute ma vie, sans personne pour m'entendre, me comprendre, m'aimer... J'aurais grandi en pourrissant...
Le séisme a tout changé.
Le sol s'est fissuré, la maison s'est écroulée. J'ai profité des éboulements pour me faufiler dans les ouvertures. Des pierres m'ont fracassé le dos, les orteils, mais je suis sorti. J'avais dix ans. Cette liberté m'a paru vertigineuse. Oubliant la douleur, j'ai couru longuement, avant d'être recueilli par des gens. De vraies personnes. J'étais trop faible pour lutter.
L'école m'a façonné différemment. De bête, je suis devenu homme. J'ai oublié le goût des rats. J'ai connu des amis, des filles. Mon intellect s'est développé, mon corps a changé. La société me proposait de multiples orientations. J'aurai pu trouver ma voie, être enfin heureux.
Mais je ne t'ai jamais oublié. À la première occasion, je suis parti à ta recherche. Cela n'a pas été long. Je me suis présenté à ta porte, dans cette barre HLM sordide où tu avais été relogée.
Tu as ouvert, pauvre folle ! Tu ne m'as pas reconnu. Ton agressivité ne m'impressionnait plus. J'étais adulte à présent. Mon cœur avait durci.
Tu es tombé sur le plancher crasseux. Ton regard s'est agrandi progressivement. Enfin, tu ouvrais les yeux. Je venais pour toi, gentille maman !
Mes papilles avaient oublié la saveur de la vermine. Il était temps d'y revenir. J'avais vraiment faim...
Mon couteau a tranché, lardé, découpé, équarri... De beaux morceaux ont garni le réfrigérateur. Tout mon talent de cuisinier a été mobilisé. Je t'ai préparée à la poêle, au four, au gril, accompagnée de pommes de terre, de haricots rouges, de champignons, agrémentée de sauces au poivre, de confit d'échalote, d'olives... J'ai passé près d'une semaine à te dévorer.
Au fur et à mesure, j'ai déversé les vestiges de mes repas dans une urne.

Ainsi ont été célébrées tes funérailles...