mardi 9 mai 2023

Belle Maman

 


Je n'avais plus vu mon père depuis trois ans, du moins pas en « vrai », juste en visio. Mon divorce aura été l'occasion de m'installer près de chez lui, en Provence. Cela faisait vingt ans qu'il y coulait une retraite tranquille. Octogénaire depuis peu (notre dernière réunion Skype), le décès de ma mère l'avait beaucoup ébranlé. Moi aussi, bien sûr, mais elle était hospitalisée depuis un moment, je m'y attendais, cette perte n'avait pas eu les mêmes répercutions pour moi que pour lui. Cela me faisait mal au cœur de le voir dépérir par ordinateur. Puisque mon mariage avait pris l'eau, plus rien ne m'attachait à la région parisienne. À bien y réfléchir, rien ne m'y avait jamais attaché en dehors du boulot de Melinda. Je comptais bien rattraper le temps perdu avec mon paternel, et peut-être lui faire redresser la tête, qu'il retrouve un peu de la vigueur qui l'avait toujours animée dans sa jeunesse.

Quelle surprise de le voir ainsi en forme !

Dès mon arrivée, il m'accueillit avec une franche accolade.

― Alors, comment ça va, champion ? (il m'appelait ainsi depuis le seul marathon que j'étais parvenu à terminer, le jour de mes trente ans, en cinq heures vingt-huit minutes et trente-cinq secondes. Je m'en souviens encore, il m'a fallu un mois et demie pour m'en remettre !)

Durant l'apéritif, sa conversation fut animée, passionnée ; tous les sujets du quotidien y passèrent, le voisinage, les potins sur les tractations entre commerçants pour maintenir un niveau de prix élevé, les magouilles de la municipalité. Je n'arrivais pas à placer un mot. Après deux heures de ce traitement, il vint les bras chargés de plats fumants, un rôti de bœuf accompagné d'un gratin dauphinois. Je n'en revenais pas. Et dès la dégustation, j'eus le sentiment que ma mère avait ressuscité pour préparer ces victuailles. Depuis quand savait-il cuire la viande à la perfection et à confire ainsi les pommes de terre ?

N'y tenant plus, je lui posai la question.

― Je peux bien te le dire, ta mère est morte depuis plusieurs années maintenant...

Devant son embarras, la compréhension m'ouvrit enfin les yeux ; je le coupai soudain :

― Tu as une compagne ?

Il avait acquiescé un peu rougissant.

― Elle était chez l'antiquaire. Dès que mes yeux se sont posés sur elle, j'ai été conquis. Manifestement, le courant est passé également de son côté. Un coup de chance, à mon âge...

J'étais abasourdi.

― C'est fantastique ! Et on lui doit ce repas ? Elle est là, en ce moment ?

Je le vis opiner, très mal à l'aise. Elle est discrète, je ne voulais pas te la présenter en grandes pompes.

― Allons, papa, je VEUX la voir !

― Bien sûr, vas-y, elle sera contente de faire ta connaissance. Elle s'appelle Kittie.

Je me précipitai vers la cuisine. Et m'y arrêtai, au comble de la surprise. En dehors du four encore chaud, rien n'indiquait la moindre présence humaine. Je tournai un peu dans la vaste pièce, et tombait nez à nez avec une grande poupée, grande comme une gamine de douze ans, blonde, avec des nattes, vêtue d'une robe à fleurs. Je lui dis bonjour, avec amusement. Elle ne répondit pas, bien sûr. Ses grands yeux bleus n'étaient que des billes de verre. Je fouillai encore un peu par acquis de conscience, dès fois qu'une « vraie » femme soit cachée sous un meuble, mais la réalité se faisait cruelle, et implacable. Ma nouvelle belle maman n'était autre que cette poupée...

Je revins à table, silencieux.

― Tu la trouves trop jeune pour moi ?

Voilà ce qui le préoccupait le plus.

― Ce qui compte, ce sont les affinités, répondis-je sans trop savoir où je mettais les pieds.

L'esprit de mon père avait basculé au sein d'une nouvelle réalité, la combattre aurait pu se révéler contre-productif et soulever en lui une vive colère – je l'avais déjà vu s'emporter, et je n'avais aucune envie de revivre ce moment. Je décidai donc de laisser couler.

Après le digestif, j'abandonnais mon père à sa nouvelle vie de couple, et glissant un au-revoir « Kittie », je retournai chez moi, l'esprit encombré de questions.

Par exemple, d'où lui venait son talent de chef ? Je me souvenais avoir déjà lu un article ou vu une émission traitant du dédoublement de personnalité ; le cerveau, tellement convaincu du rôle à jour, assimile très rapidement les compétences liées au personnage ainsi créé. C'était incroyable, mais pas impossible que mon père, même sans le savoir, fût devenu un cordon bleu en substitution de sa supposée « compagne. » Car de toute évidence, il se prend pour elle.

Cette révélation me laissait un goût amer en bouche, mais je parvins très vite à relativiser. Après tout, était-ce si grave ? J'étais revenu dans la région justement pour lui apporter un peu de compagnie. Son esprit avait substitué ce besoin par l'entremise d'une poupée. Et puis sa santé mentale... j'avais déjà envisagé une démence liée à la dépression. Au final, il se portait comme un charme, bercé par une vie de couple certes illusoire, mais de son point de vue passionnée. J'ai pu m'en rendre compte.

Les semaines suivant cette soirée mémorable, je vins régulièrement visiter mon vieux père. Il m'accueillait toujours avec jovialité, et me montrait les prodiges qu'avait réalisés Kittie. Une vraie fée du logis ! Le parquet du salon rutilait ; elle avait tricoté des vêtements pour l'hiver, une magnifique écharpe (elle m'en fera une si je demande gentiment !) ; là, un biscuit typique de son pays (lequel !), des sablés au citron (un délice, je devais le reconnaître.) Les mystères de l'esprit, capable de s'auto-former à diverses activités pour donner corps à son délire, m'impressionnaient.

Puis un jour il ne répondit plus à mes appels. Comprenant bien vite la situation, je brisai un carreau du sous-sol et m'infiltrait dans la vieille demeure. Je le trouvai allongé sur son lit, le visage paisible, Kittie appuyée contre lui, de profil, le bras gauche passé sous sa nuque et le droit sur son torse. Ils formaient un couple magnifique...

En m'approchaient, je vis l'impossible, qui hante encore parfois mon sommeil, car je sais que je n'invente rien. D'épaisses larmes coulaient sur les joues de la poupée.

jeudi 9 février 2023

La Belle au Bois Mordant

 


Il fut, en un temps très lointain, aux confins d'une forêt épaisse et luxuriante, dans un château surplombant une colline d'émeraude, une princesse si belle que sa vieille tante, jalouse et aigrie, lui lança un charme. À l'aube de sa puberté, la jolie Aurore sombra dans un sommeil d'où aucune gifle, aucun seau d'eau, ne put l'arracher. La vieille tante mourut, emportant le secret de son sortilège au fond de la tombe.

Les années s'écoulèrent, le temps de l'enfance passa, et la dormante devint la plus magnifique des jeunes femmes du royaume. Les sages affirmant qu'elle entendait et comprenait toujours les paroles de ses visiteurs, des nobles venus de tous horizons, allaient lui rendre visite pour lui conter les histoires de leur région. Une véritable cour se constitua autour d'elle. La voir ainsi vivre ses plus jeunes années inerte et sans vie suscitait l'émotion, et un engouement général s'employa à la cultiver et à la distraire chaque jour et chaque nuit.

Parmi ses visiteurs les plus fervents se trouvait le prince Diego de la Lambomie. Touché par le sort de la princesse, et vivant à une heure de calèche de son château, le jeune homme profitait de ses nuits d'insomnie pour lui lire les meilleurs ouvrages de sa bibliothèque. Au fil des séances, son cœur juvénile ne put résister à l'attraction de cette beauté. Il s'étonna lui-même de ses sentiments. N'y tenant plus, il formula une promesse à sa protégée, celle de la délivrer de cette malédiction.

Dès lors, il sillonna le royaume en quête d'un apothicaire, d'un magicien, ou de tout autre personnage mystique, apte à lui enseigner la manière de briser un sort.

Trois années furent employées à cette recherche, et au final, le prince obtint enfin la solution, écrite en lettres de sang sur un parchemin élimé. Pour éveiller la belle, il devait enduire ses lèvres d'un philtre spécial, concocté par des peuplades étrangères d'un autre continent, et l'embrasser chastement. Si son cœur était pur et animé de bonnes intentions, le sort serait brisé, et la prisonnière serait enfin libérée.

L'annonce de cette révélation traversa le royaume, avec force vivats. Diego revint de son dernier voyage sous le regard attendri et passionné de la foule. Il demanda à rester seul avec la princesse. Le processus ne devait souffrir d'aucune ingérence. Sa garde princière ainsi que le personnel du château restèrent donc en dehors de la chambre, oreille collée au bois de la porte.

Le prince était en nage. La fatigue du voyage l'accablait, certes, mais les formes qu'il devinait sous la robe bleu ciel de la princesse le saisissait d'une violente émotion. Sa main tremblante ne put résister à se poser, certes légèrement, contre le haut d'un sein. Un véritable séisme se produisit en ses entrailles. N'y tenant plus, il s'empara du flacon venu d'ailleurs, appliqua quelques gouttes de la potion sur les lèvres de la dormante, les étala de l'index, et se pencha pour lui offrir le baiser de la délivrance.

Son cœur était-il pur et animé de bonnes intentions ? Oh que oui !

L'infâme sorcier Raffaelo en apportait la garantie. Il nourrissait un amour inconditionnel envers l'ensommeillée depuis des années. Ses intentions étaient donc les meilleures ! Le sort métamorphe qu'il s'était lancé la veille lui octroyait les traits du prince, et, par conséquent, toute légitimité pour se poster devant sa couche. Ainsi, son ultime ambition allait enfin aboutir...


À cet instant, le vrai Diego de la Lambomie reposait au fond d'une geôle, surveillée par des mercenaires payés grassement par Raffaelo. Son emprisonnement ne l'inquiétait guère, car ces imbéciles ne lui avaient pas ôté son anneau. Anneau qu'il détenait de sa grand-mère, la magicienne Johanna. Son pouvoir lui permettrait de traverser les murs, et donc de recouvrer la liberté.

Restait à trouver le moment où la surveillance se relâcherait...


Les lèvres du sorcier s'appuyèrent sur celles, glacées, de la princesse. Alors, s'opéra la magie. Un léger tremblement secoua la silhouette de la dormante. Enfin, elle ouvrit les yeux. Ses iris blanchâtres se fixèrent sur ceux du mage. Ils n'avaient rien de séduisant, ni d'avenant. La belle exhiba une rangée de crocs huilés de bave, empoigna la chevelure de son sauveur, et le mordit si fort qu'elle arracha une bouchée de chair suintante. Le sang gicla sur son visage.

Raffaelo assena un violent direct à la princesse pour se dégager de son emprise. L'hémoglobine coulait le long de son torse. Il déchira un pan de drap pour l'appliquer sur la plaie, retardant autant que possible le moment de son trépas. Mais la créature revenait à la charge. Il se recula et la laissa choir sur le plancher. Du talon, il la maintint au sol et se confectionna, avec le reste du linge de literie des liens pour l'emprisonner. Enfin arrivé au bout de son opération, il jeta le corps toujours agité de rage sur la couche, et tenta de reprendre ses esprits.

Mais une torpeur anormale tétanisa son âme. Il déambula un instant dans la chambre, sans but. Jusqu'au moment où une chaleur nouvelle s'écoula dans ses veines. Un violent appétit s'empara de ses sens. Il oublia la princesse, sortit de la pièce et s'élança dans les couloirs du château, à la recherche de proies.

Sa première victime fut Humphrey, le majordome. Ses dents enfiévrées lui arrachèrent la trachée-artère d'un coup sec. Le malheureux expira très vite, répandant des litres de sang sur le plancher. La seconde fut Olga, la cuisinière. Il l'accula contre son plan de travail, et la mordit à la jugulaire si fort qu'un jet écarlate se dispersa en averse sur les plats frémissants. Livia, son assistante, fut témoin de la scène, et percluse de terreur, se réfugia sous une table. Une fois repu, l'agresseur s'éloigna en l'ignorant. Alors, Livia souffla. Elle s'empara d'une feuille de boucher, et voyant Olga et Humphrey bouger, retourna dans sa cachette, terrorisée.

Les deux serviteurs, devenus fous, se dispersèrent au sein du château.

Toujours sous l'apparence du prince, Raffaelo se jeta par une fenêtre et croqua le cou des écuyers, puis alla mordre les paysans situés aux alentours. Humphrey et Olga montèrent dans les étages où ils agressèrent le personnel de nettoyage et de rangement.

Très vite, des dizaines de victimes se levèrent et grossirent les rangs des belligérants.

La garde s'opposa à cette invasion, semant la mort au sein des enragés. Toutefois, ils furent débordés par la quantité de fous furieux ainsi générés. La folie et la mort gagnèrent du terrain, et s'étendirent jusqu'aux étages supérieurs du donjon.

Les cadavres s'accumulèrent dans les couloirs, le sang s'écoula en torrents, bientôt les vivants bien portants se firent rares, condamnés à se cacher.


Le vrai prince Diego, fraîchement libéré, se rendit au château de la belle. Dès son entrée, il dut user de son épée d'argent contre un domestique devenu fou. La tête du malheureux vola en l'air. N'écoutant que sa foi et sa vigueur, le noble parcourut les galeries en rendant la justice divine, celle de sa lame.

Le personnel contaminé fut mutilé, embroché, réduit au silence, par la force destructrice du futur roi. Les victimes s'additionnèrent, déversant un épais tapis d'hémoglobine visqueux et glissant sur le carrelage des corridors. Il rencontra même son double, en la personne du fourbe mage Raffaelo, qu'il décapita sèchement.

Diego se fraya un chemin jusqu'à la chambre de sa dulcinée. Elle était allongée sur son lit, entravée et hystérique. Un parchemin reposait sur une table de nuit. Il s'agissait du mode d'emploi écrit en lettres de sang. Il s'assit sur sa poitrine pour maîtriser ses mouvements de colère, et enduisit ses lèvres ensanglantées de la potion encore présente sur la table de nuit. Alors, il déposa un chaste baiser sur la chair ainsi ointe.

Aurore reprit soudain des couleurs. Les teintes de la mort firent place à celles de la vie. Ses pommettes se couvrirent de rose, son teint gagna en fraîcheur, sa chevelure parut moins sèche. Elle recouvrit toute sa beauté et ouvrit enfin ses beaux yeux azur.

Le cœur léger, Diego lui promit que tout irait bien, désormais. Un mal terrible avait touché son château, mais il avait su faire reculer la menace. Elle fut impressionnée, le couvrant d'un regard énamouré. Il l'aida à se relever, et s'employa à la faire sortir de cette demeure, désormais souillée de sang.

C'est alors que la commise Livia surgit en hurlant, et lui planta sa feuille de boucher en plein front.

dimanche 11 septembre 2022

Je suis une poupée

 


Le commissariat vrombissait des dizaines de plaignants aux voix éraillées, fatiguées, énervées ; le brouhaha portait sur les nerfs du sergent Makrav. Une petite fille se trouvait face à lui. Mignonne, adorable. L'enfant qu'il aurait aimé avoir. Pour toute explication, on lui avait adressé les photos de ses parents trucidés à l'arme blanche, Jordan et Clotilde Broun. Un homme brun et une femme blonde d'âge moyen, entre trente et quarante ans, bien entretenus, fins et musclés, d'allure « sportive » ; comment ont-ils pu se laisser surprendre ? Pourtant, les clichés exposaient deux corps allongés sur un lit, couverts de sang.

⸺ Je suis désolé de te poser la question, commença Makrav, gêné. Mais je dois le faire. Que s'est-il passé au juste dans ce pavillon ?

La gamine ne broncha pas. Son visage lisse au regard direct se tourna vers lui :

⸺ Pourquoi êtes-vous désolé, sergent ? J'ai tué ces gens. Ils me prenaient pour leur fille, et j'en ai eu assez.

⸺ Que veux-tu dire ? Tu n'es pas leur fille ?

⸺ Pas du tout. Je ne suis la fille de personne. Je suis une poupée, de plastique et de tissu.

Un ricanement involontaire prit Makrav. Ainsi, une poupée se présentait à lui pour avouer deux crimes de sang affreux....

⸺ D'accord. Donc tu avoues avoir commis ces meurtres...

⸺ Oui. C'étaient de parfais crétins. J'ai pris le couteau à trancher les légumes, celui du « chef » comme on l'appelle, et je les ai égorgés dans leur sommeil, comme des gorets.

⸺ J'entends ce que tu dis. Mais je ne comprends pas le motif. Deux morts, tes parents...

⸺ Je vous répète que ce n'étaient pas mes parents...

⸺ Pardon, ces gens, peu importe. Quelle raison avais-tu de les abattre ?

⸺ Aucune. J'étais juste vexée d'être prise pour une petite fille. Ils savaient mieux que tout le monde que je n'en étais pas une...

⸺ Ce serait le seul motif ? C'est un peu léger, tu ne trouves pas ? Poupée ou fillette, cela n'explique pas un double meurtre, c'est un peu excessif pour une simple question d'identité – qui de plus belle, ne sera pas résolue à la suite de ces crimes. Si tu voulais démontrer à ce couple, ou à la société, ta nature de poupée, ce n'était pas le meilleur moyen. Moi, je te le dis, je ne te crois pas. Tu es une gamine, et tu n'as pas abattu de sang froid tes parents.

— Ce ne sont PAS mes parents ! rugit-elle, se dressant sur ses pieds, devant le bureau, agressive, fulminante.

— Très bien. Pour maintenir la paix et le calme de cette conversation, je vais suivre ton idée. Tu es une poupée, très bien. Et les victimes n'étaient pas tes parents. J'aimerais te poser une question.

La petite reprit un peu son calme et se rassit proprement sur sa chaise.

— Je vous écoute.

— Connais-tu d'autres poupées qui parlent et bougent comme un être vivant ?

Ses sourcils se froncèrent, elle sembla réfléchir intensément.

— Non. Je suis sans doute un modèle unique. J'ai été animée suite à une cérémonie magique, je ne peux pas en dire plus, je ne me souviens de rien.

— Tout s'explique !

Makrav s'était efforcé de masquer son ironie, sans succès. La gamine n'était pas idiote, elle s'en aperçut.

— Sergent, si vous ne me prenez pas au sérieux, vous subirez le même sort que ces deux crétins.

— Tu me menaces ? Ici ? Au milieu de tout ce monde ?

— Vos principes et vos lois sont sans importance pour moi. J'agis en fonction de mes propres convictions. Et si m'offensez, ma conviction est que vous devrez en payer le prix.

— D'accord. Je te présente toutes mes excuses...

Une voix dans son dos l'interpella :

— Sergent ?

Makrav se retourna, agacé et revint vers la fillette.

— Excuse-moi, je dois répondre à mon collègue.

— Je vous en prie.

Le policier se rendit dans un bureau adjacent. Le jeune enquêteur lui exposa la situation. Après recherche auprès de l'état civil, il apparaissait que le couple Broun n'avait pas d'enfant. Aucun voisin ne les avait jamais vus avec une fillette, et les membres de leur famille confirmaient ce fait. Cette gamine venait d'ailleurs. Peut-être était-elle en fugue, mais les recherches allaient s'avérer très longues.

« Putain de merde », se dit Makrav. Cela dit, il pouvait utiliser cette information à bon escient.

Revenu face à la petite effarouchée, il reprit le fil de la conversation :

— Excuse-moi. Je viens d'avoir confirmation d'une partie de tes affirmations. Tu n'es pas la fille des victimes. Aurais-tu l'amabilité de me confier ton identité ?

— Je n'en ai pas. Je suis un objet, pas une personne. Je sais que des poupées ont des noms, moi je n'en ai pas...

— Je peux t'appeler Mina ?

— Pourquoi ?

— C'est le prénom de la fille que j'aurais aimé avoir. Ma femme s'est tuée quelques semaines avant l'accouchement.

— Si vous ne me confondez pas avec votre fille, tout ira bien...

— Quelle importance ? J'aimerais juste vérifier une chose...

Makrav sortit d'un tiroir un canif, un Opinel avec lequel il coupait ses pommes, étant réfractaire au croquant direct. En un geste ferme et circulaire, il taillada la joue droite de la fillette. Celle-ci n'eut aucune réaction.

De la plaie ouverte ne suppurait aucune humeur, ni sang, ni rien...

Tremblant, Makrav conclut son rapport en prétendant qu'aucune gamine n'avait assisté au meurtre. Et c'était vrai, techniquement. L'affaire se concluait sur un double-meurtre de personne inconnue. Affaire qui serait classée dans quelques semaines, il le savait...

— Ok, Mina, tu vas venir avec moi. Je prendrai soin de toi...